Les entrevues Bedeka: Philippe Girard, Auteur

Publié le par Eric Lamiot

Publiée le 04-07-2006

 

 

 

 

Philippe Girard, Alias Phlppgrrd, est l’auteur de Béatrice, un strip publié du lundi au vendredi dans le quotidien « la Presse », de Montréal. Il est également l’auteur de livres jeunesse (Gustave et le capitaine Planète). Bedeka.org a demandé à Philippe de bien vouloir partager avec nous son expérience.

 

 

Béatrice, ta bande dessinée, est publié dans « la presse », à Montréal, comment s’est passé le contact, et que t’apporte cette publication ?

 

C'est Frédéric Gauthier, de La Pastèque, qui m'a approché avec ce projet au printemps 2003. À l'époque, nous étions cinq auteurs sur la ligne de départ (Rémy Simard, Guy Delisle, Michel Rabagliati, Nicolas Mahler et moi). Notre mandat était de développer un strip qui aurait été publié dans un nouveau cahier jeunesse du journal La Presse (ce projet a finalement été abandonné). Dans le projet initial, chacun d'entre nous se voyait attribuer un jour de la semaine différent (par exemple : Remy le lundi, Michel le mardi, Guy le mercredi, Mahler le jeudi et moi le vendredi). En cours de route, certains auteurs se sont désistés de telle sorte que seuls Rémy et moi sommes demeurés partants. Puis finalement, en octobre ou en novembre 2005, Frédéric m'a recontacté pour me dire que la Presse était toujours intéressée, mais à condition que je livre cinq strips par semaine. Sur le coup, j'ai été ! un peu impressionné, parce que ça représentait une grosse somme de travail. Mais comme j'avais à peu près 70 strips de prêts, je me suis dit que je pouvais essayer. Pour l'instant, j'ai réussi à maintenir ce tempo.

 

Quant à savoir ce que m'apporte cette publication, il est peut-être un peu tôt pour en parler. J'ai accepté de plonger dans l'aventure parce que le défi me semblait intéressant et qu'on me donnait carte blanche. Avec Béatrice, j'ai abordé les thèmes de la sexualité, de l'alcool et de la politique sans qu'on me demande de modifier ou censurer quoi que ce soit. C'est une immense liberté. J’ai également évoqué Beaudelaire, Fernando Pessoa et d'art abstrait, ce dont je suis très fier.

 

 

Est-ce un contrat à long terme ?

 

Je n'ai pas de contrat à proprement parler.

 

 

Penses tu que la bande dessinée puisse être un bon véhicule pour aborder des sujets sociaux habituellement considérés comme « sérieux » ?

 

Oui certainement. D'ailleurs, elle le fait déja. On a qu'a penser a Maus, de Spiegelman pour s'en convaincre.

 

 

La BD québécoise dans les journaux d’ici (Béatrice, « Magasin Général », de Loisel et Tripp, Paul de Michel Rabagliati dans « le Devoir »), est-ce une mode, ou penses tu que ça puisse tenir sur le long terme ?

 

Même si je suis porté à croire que c'est un peu les deux, je pense que c'est le résultat d'un long processus. Il y a vingt ou trente ans, les auteurs de BD québécois tentaient déjà de se démarquer. À force d'efforts, l'arbre a finit par donner des fruits. En plus, il ne faut pas oublier que, contrairement aux autres disciplines artistiques, comme la chanson, la BD ne bénéficie d'aucune loi qui impose des quotas aux diffuseurs. Ça nous aurait permis de gagner beaucoup de temps. Imaginez à quoi ressemblerait le paysage de la BD au Québec si dès les années 70 le gouvernement avait obligé les journaux d'ici à publier 50% de contenu québécois dans leurs pages. La donne serait complètement différente.

 

La vague qui balaie le Québec ces jours-ci est, de mon point de vue, le résultat des petits succès additionnés de tous ceux qui nous ont précédés et d'un changement de mentalités vis-à-vis du médium en général. Depuis une dizaine d'années, les lecteurs ont accepté de laisser entrer l'album souple en noir et blanc dans la meilleure section de leur bibliothèque. Cette ouverture a permis à des auteurs marginaux de gagner leurs lettres de noblesse. C'est une révolution. Et mon plus grand souhait par rapport à tout ça, c'est que les artistes à qui profitent l'engouement actuel soient assez généreux pour laisser une place la génération suivante. Je me croise les doigts pour qu'ils deviennent un relais entre les éditeurs et les artistes. C'est ce qui fera la différence entre un phénomène passager ou un mouvement de fond.

 

 

Quel est ton parcours ?

 

Après mes études secondaires, je me suis inscrit en Graphisme au Cégep de Sainte-Foy (c'est la que j'ai connu Leif Tande et Djief) en croyant que ma formation me permettrait de devenir auteur de BD. Ça peut paraître incongru à première vue, mais à l'époque c'est ce que faisaient les auteurs de BD pour acquérir des compétences. En cours de route, j'ai réalisé que ce parcours n'était pas vraiment approprié pour atteindre l'objectif que je m'étais fixé. Les professeurs n'aimaient pas la BD et c'était mal vu d'en faire. J'ai donc bouclé mon DEC en arts et je me suis inscrit à l'Université en Communications graphiques. Pendant cette période, j'ai rencontré des professeurs formidables comme Antoine Dumas et Joanne Ouellet, qui ont eu beaucoup d'influence sur ma démarche. Quand j'ai terminé mon Bac, je souhaitais tenter ma chance comme illustrateur de presse. J'avais développé un style de dessin trè! s énergique au pastel (qui n'a rien à voir avec ce que je fais en BD) et j'étais très influencé par des illustrateurs américains comme Philip Burke. J'ai même envoyé mon porte folio à des magazines comme Rolling Stone et Life. Par la suite, j'ai été engagé comme graphiste et comme réalisateur pigiste par Radio-Canada. De 1993 à 1997, j'ai surtout fait de la peinture et j'ai exposé dans des bars de Québec et Montréal. Je suis revenu à la BD avec le fanzine Tabasko. Depuis 2002, en plus de la BD, j'écris aussi des romans jeunesse.

 

 

Comment est-ce que tu travailles ?

 

Pour Béatrice, mon objectif, c'est de produire trois gags par semaine. Ça semble peu, mais considérant que j'ai un boulot à temps plein et une famille, c'est énorme. En temps normal, je pars le matin de la maison avec une idée en tête. Je la retourne jusqu'à ce que je trouve le flash qui en fera un gag. Parfois ça ne marche pas. Je dois changer de thème et attaquer un autre sujet. Pendant cette gestation, je passe beaucoup de temps à chercher le mot juste. C'est ma manie. Dans 90% des cas, l’idée naît de la parole ou des dialogues. Je veux donc que le texte soit crédible, qu’il colle à l’univers de l’enfance. Du même coup, je tiens à ce que du point de vue linguistique, ce soit impeccable. C'est difficile, parce que je ne peux pas mettre plus de 3 lignes de texte par phylactère. L'espace est limité. Ça me force à être concis et précis.

 

En plus, la BD qui est publiée dans les journaux s’adresse à un lectorat qui ne s’intéresse pas spécialement à la BD. Ce groupe a d’autres références culturelles et d’autres préoccupations que les acheteurs de BD. Ça me donne l'impression de travailler pour un anti-public. Mon mandat, c'est de faire rire le gars qui lit le journal à l'usine ou au restaurant du coin, pas le spécialiste de Donjon. Pour y arriver, je dois m’intéresser au hockey, aux olympiques et à l’actualité. C'est sans doute la raison pour laquelle Béatrice a reçu un meilleur accueil dans les médias généralistes que dans les médias dédiés à la BD. Les critiques de BD me parlent surtout de l'aspect minimal du dessin tandis que les lecteurs de la Presse apprécient ma volonté de traiter de l'universalité de l'enfance. Lors du dernier salon du livre de Québec, il y a même un gars qui est ! venu me voir pour me dire que sa femme venait d'accoucher et qu'ils avaient décidés d'appeler leur bébé Béatrice en l'honneur de mon personnage. Pour moi, c'est un immense compliment. Béatrice, c'est peu de choses quand on considère la série en termes de nombre de pages, mais c'est beaucoup plus du point de vue de l’effort de synthèse.

 

 

Tu as parlé d’anti-public. Penses tu que la publication de BD dans la presse quotidienne puisse amener un nouveau lectorat vers la bande dessinée ?

 

Je ne sais pas. La BD existe dans les journaux depuis fort longtemps. La question est de savoir si ceux qui lisent Charlie Brown en page E-12 de leur journal achètent des albums en librairie. D'après les commentaires que je reçois, ce n'est pas le cas. Les gens qui achètent le journal lisent la BD comme d'autres lisent leur horoscope ou la météo. C'est une information de plus dans la grande masse que contient le journal. Inversement, les collectionneurs de BD que je connais ne s'intéressent pas a Blondinette ou Mutt & Jeff. Ce sont deux mondes parallèles et quasi imperméables.

 

 

Pourrais tu nous parler de tes projets autres que Béatrice ?

 

Comme je l'ai dit précédemment, la courte échelle publie depuis 2002 une série que j'ai écrite et illustrée qui s'appelle Gustave et le capitaine Planète. Elle compte quatre titres pour l'instant. Ce travail est celui qui prend la majeure partie de mon temps. J'y suis très attaché. Ce printemps, j'ai remis le cinquième tome de la saga à l'éditeur et j'ai en tête les scénarii de deux prochains épisodes. Cela devrait me garder occupé jusqu'en 2008. En plus de cette série, j'ai aussi deux autres gros projets en cours. L'un d'eux est presque terminé. C'est un roman pour les 8 à 10 ans dont le titre est "Crayons de douleurs". C'est Djief qui en a fait les illustrations, avec brio comme d'habitude. L'autre projet est confidentiel pour l'instant.

 

 

Est-ce que le travail de romancier est fondamentalement différent de celui d’auteur de BD ?

 

Les contraintes sont différentes. Même si Béatrice est une enfant, je peux utiliser sa voix pour parler de guerre ou de politique. Dans la littérature jeunesse, c'est plus délicat. Pas seulement pour des questions d'éthique mais aussi parce que la morale, dans la littérature, ça devient vite barbant. On risque de lasser le lecteur. Dans mes romans jeunesse, je dois évoquer l'action sans tomber dans la violence. Par contre, dans la BD, il est difficile d'employer un mot de 26 lettres dans un phylactère sans devoir le couper. Tout est une question d'adaptation. Il faut savoir se plier aux exigences de chaque médium et y trouver son compte. Ceci étant dit, lorsque je mets mon chapeau d'auteur de romans, je ne cherche pas a aborder les mêmes thèmes que dans la BD. Je me suis mis a l'écriture parce qu'un jour, j'ai lu dans un magazine que les jeunes garçons québécois ne lisaient plus. J'ai pensé aux livres qui m'intéressaient quand j'étais petit, Bob Morane, Doc Savage et Nick Jordan, et je me suis dit qu'il y aurait certainement moyen de créer quelque chose dans le même genre qui colle a la réalité d'aujourd'hui. Dans mes romans jeunesse, j'essaie de parler au héros qui sommeille chez les petits lecteurs. Avec Béatrice, je m'adresse a l'enfant qui sommeille dans chaque lecteur.

 

 

Tu bases souvent tes BDs sur du vécu quotidien. Aura t’on droit un jour à de la fiction pure signée Phlppgrrd ?

 

Tous mes livres sont basés sur la fiction. En dépit des apparences, la façade historique ou autobiographique est un faux-semblant, une illusion. Je m'en sers pour brouiller les pistes. Mes personnages sont des gens qui ont déjà existés, mais je les place dans des situations imaginaires. Ils sont des comédiens qui feignent de jouer leur propre rôle. C’est différent de la biographie. La pudeur qu'impose la fiction oblige les auteurs à se révéler par le biais de l'invention et ça, c'est le vrai miracle de l'écriture. Les Spirou de Franquin et les Tintin de Hergé sont autobiographiques. Pour s’y retrouver, il faut savoir démêler le vrai du faux. Luc Giard l'a bien compris, la preuve, il mélange allègrement les deux dans son travail. Quant à mes livres, pour m'y repérer, vous devez chercher au second plan, dans les dialogues ou dans les sujets que j'aborde. Je me tiens en retrait de mes personnages, mà ame de ceux qui sont supposés me représenter. Ils ne sont que des acteurs à qui j'ai donné un texte à lire.

 

 

Tu fais un blogue. Qu’est-ce que t’apporte cet exercice ?

 

J'essaie de ne pas y consacrer trop de temps. Je ne veux pas passer mes loisirs sur internet. J'ai créé le blog de Béatrice pour permettre aux lecteurs qui n'achètent pas la Presse de suivre la parution de mes strips. Ça leur donne aussi la possibilité de m'écrire ou de me laisser des commentaires, ce que j'apprécie. A quelques reprises, j'ai aussi mentionné des albums de BD que j'avais aimés. C'est ma façon de donner un coup de pouce aux auteurs de la relève.

 

 

Comment est-ce que tu prends les critiques de ton propre travail ?

 

À part ceux qui proviennent de ma blonde, de ma fille et des auteurs de l'écurie MG, je ne leur prête aucune importance.

 

 

Qu’est-ce que tu penses de la production actuelle de bande dessinée Québécoise ?

 

Je me réjouis de sa diversité. Au départ, je craignais que le phénomèene ne soit limité qu'à la BD d'auteur et que certains genres soient exclus de la vague. Ça me fait plaisir que des auteurs comme Voro, Djief, Delaf et Dubuc ou Jacques Lamontagne aient réussi à s’insérer dans le créneau dit classique. Même chose pour les artistes qui ont investi le marché américain. C'est formidable. Sinon, j'ai beaucoup d'estime pour les Pascal Girard, Iris Boudreault, Petr, Pishier et compagnie. Leur travail est vivant et plein de fraîcheur.

 

 

Quelles ont les lectures que tu pourrais nous conseiller ?

 

Je lis assez peu de BD. Voici mes préférences spontanées : Exit de Benoît Joly, Castello d'André-Philippe Côté, Le pont du Havre de Luc Giard, Morlac de Leif Tande et Dans un cruchon de Pascal Girard. J'ai aussi un faible pour le fanzine Bidon de Petr et Pishier. Sinon, je recommanderais Tokyo Ghost de Djief, La Dame dans l'auto de Sébastien Japrisot, Le vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sepulveda, Le capitaine Alatriste de Arturo Perez Reverte et Quelqu'un d'autre de Tonino Benacquista. Dernièrement, un ami m'a donne Tortilla Flat de John Steinbeck et ce fut une révélation.

 

 

Quelle est la question que tu aimerais qu’on te pose, et qu’est-ce que tu y répondrais ?

 

Quelle est la hauteur exacte de L'Everest ? Facile : 8858 mètres.

 

 

Merci beaucoup de nous avoir accordé du temps pour cette entrevue. Vous pouvez suivre les aventures de Béatrice dans « la presse » ou sur : http://phlppgrrd.blogspot.com/  et retrouver les albums de Phlppgrrd aux Éditions Mécanique Générale : http://www.pastis.org/mg/accueil.html

 

 

 

 

Publié dans Entrevues Bedeka

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