Entrevue: Patrick, L'Imaginaire

Publié le par Eric Lamiot

imaginaire2.jpg
L’Imaginaire, à Québec (place Laurier, troisième étage), est un magasin comportant un section librairie spécialisée dans la bande dessinée. Les personnes qui y travaillent font un remarquable travail de suivi des collections pour être toujours en phase avec ce qui sort. Afin d’avoir le point de vue de l’autre coté de la BD, celui du vendeur, j’ai demandé à Patrick, qui y travaille, de nous parler du marché de la BD, et de la place de la BD québécoise sur ce marché.
 
E.L. : Vous vous occupez de la section BD de la boutique l’Imaginaire à Québec. Pourriez vous nous dire en quoi consiste votre travail ?
Patrick : Je suis responsable des achats, des nouveautés BD et des produits dérivés. Je gère l’inventaire en magasin : Q’est-ce qu’on rentre, qu’est-ce qu’on garde et qu’est-ce qu’on ne tient plus.
 
E.L. : Quels sont les différences entre les marchés français et québécois de la bande dessinée ?
Patrick : La première différence se situe en terme de chiffres de vente. La France ayant une plus grosse population, les ventes sont beaucoup plus impressionnantes là-bas.
La deuxième différence se situe au niveau culturel. La BD fait plus partie des mœurs en France qu’ici. Donc, les titres moins jeunesse i.e. Largo Winch, XIII, Thorgal et compagnie, vont vendront plus et seront plus connus là-bas qu’auprès des gens d’ici. Le marché Québécois se limite pas mal aux BD jeunesse, mis à part quelques exceptions comme Bilal ou Loisel qui peuvent rejoindre un plus grand public qui lit plus ou moins de la BD. 
imaginaire-3.jpg
 
E.L. : Pensez vous qu’il y aurait un moyen d’attirer le grand public vers la bande dessinée ?
Patrick : Il suffit de la promouvoir efficacement. Aussi, si un auteur québécois pouvait créer un titre ayant un impact majeur ici comme à l’étranger, ça aiderait grandement la cause de la bd. C’est ce qu’il manque ici : Un Spider-Man ou un Astérix !
 
E.L. : Comment faites vous les choix des bandes dessinées que vous mettez en évidence ?
Patrick : Évidemment, on mise sur les grandes séries et les auteurs plus connus.
 
E.L. : Comment arrivez vous à gérer vos commandes ?
Patrick : Étant dans une boutique plus spécialisée, la philosophie est de faire rentrer au moins un exemplaire de chaque nouveauté. Évidemment, l’inventaire de fond va s’en tenir à ce qui se vend le plus, avec au travers des incontournables qui vendent peut-être moins mais que toute librairie BD doit avoir. Présentement, on assiste quand même à un marché qui commence à être saturé par l’offre. Il y a trop de parutions et ça décourage pas mal les fans de bd qui n’arrivent plus à suivre. Paradoxalement, ceci contribue aussi à la découverte de petits trésors qui n’auraient peut-être pas vus le jour si le marché n’était pas en pleine expansion.
imaginaire-voro06.jpg
Voro en dédicace à l'imaginaire, en haut, accompagné de Patrick, mon interlocuteur pour cette entrevue.
E.L. : Est-ce difficile de prendre des risques pour un libraire, par exemple en voulant mettre en valeur un « coup de cœur » ?
Patrick : Au contraire, les clients l’apprécient et il faut pousser ce que l’on aime et qui nous passionne. C’est la seule façon pour bien des titres de se démarquer.
 
E.L. : Quel est le marché pour la Bande dessinée québécoise ?
Patrick : Quasi inexistant. Peu de Québécois connaissent leurs auteurs et séries. La perception change tranquillement, mais les médias doivent faire un meilleur travail d’éducation. Ils doivent en parler plus.
 
E.L. : Ne pensez vous pas que vous pourriez avoir un rôle à jouer en mettant les auteurs ou les éditeurs Québécois en évidence ?
Patrick : Ça fonctionne plus ou moins. Si on parle strictement sur le rapport coût/esthétique, l’industrie québécoise ne peut rivaliser avec ces monstres européens. La bd coûte excessivement chère à produire ici et le potentiel de vente à l’étranger est très minime. Pour la bd jeunesse, si un parent a le choix entre un Kid Paddle et une bd jeunesse québécoise, c’est certain qu’il va y aller pour le Kid Paddle. Au prix que les bd coûtent, les gens prennent rarement des chances. Donc, on achète ce qu’on connaît. Je pense que la mise en valeur de la bd passe en premier lieu par l’école (montrer qu’il se fait de la bonne bd ici et pas juste des séries jeunesses aussi!). Ça serait fantastique que les Cégépiens étudient la série de « Paul » dans un cours de français ! Ensuite, les médias ! Au risque de me répéter, les médias ont tellement un grand impact. Il suffit de regarder Tout le monde en parle : dès qu’un auteur de livre passe à l’émission, son bouquin se retrouve dans le top ten de Renaud-Bray la semaine suivante !
imaginaire-thierry-labrosse.jpg
Thierry Labrosse en dédicace à L'Imaginaire
 
E.L. : Qu’est ce que vous pensez vous même de ce qui paraît au Québec actuellement ?
Patrick : On se dirige tranquillement vers un âge d ‘or de la bd au Québec. En ce qui à trait à la bd d’auteur, il se fait peu à peu des livres intéressants et qui rivalisent avec les européens, comme dans les cas de Jimmy Beaulieu, Leif Tande ou Michel Rabagliati. Pour la bd commerciale, c’est un autre problème. Tant que les coûts de production seront trop élevés, on ne pourra pas rivaliser avec les maisons d’éditions Européennes. On ne pourra pas occuper ce créneau. Par contre, l’ouverture qu’eux montrent envers les auteurs d’ici, est très encourageante pour ceux qui souhaitent faire ce genre de bd. Maintenant, il existe des avenues pour ces auteurs qu’il n’y avait pas auparavant.
 
E.L. : Le développement de la BD au Québec semble s’accélérer, avec le travail des éditeurs comme « La Pastèque », « Mécanique Générale », et maintenant « Fichtre » qui se lance dans l’édition. Comment vous percevez ça du coté vente ?
Patrick : C’est comme une roue qui tourne, plus il y a de la bd québécoise, plus tu la fait voir et par conséquent, intéresse les gens à en acheter. Je crois que la bd d’auteur québécoise est entre bonnes mains. C’est éditeurs font des livres fantastiques avec le peu de moyen qu’ils ont. Ce n’est que positif !
imaginaire-4.jpg
 
E.L. : De plus en plus d’auteurs Québécois sont publiés et reconnus en Europe, François Miville-Deschesnes, Marc Delafontaine et Maryse Dubuc, Jacques Lamontagne, Guy Delisle, Voro, pensez vous que ça va finir amener le public Québécois vers les auteurs Québécois ?
Patrick : Oui. Pour ce type de bd. Est-ce que ces personnes vont s’intéresser à la bd de Mécanique Générale, j’en doute fortement ! Quand on dit aux gens que, Les nombrils, Millénaire ou Les druides sont dessinés par des Québécois, ils sont très surpris et je dirais que c’est même un incitatif de vente ! Mais, ça se limite à la bd commerciale. Accrocher les gens aux ouvrages de Jimmy Beaulieu ou de Leif Tande, n’est pas une tâche facile. Et ça, c’est le même phénomène du côté des auteurs européens. Je vends beaucoup plus les albums de Trondheim ou de Sfar chez Delcourt et Dargaud que leurs bd chez L’Association. Pourtant, c’est les mêmes auteurs ! Les gens se méfient de ces livres bizarres : souple, petit format, noir et blanc !
 
E.L. : Comment gérez vous la prolifération actuelle de titres ?
Patrick : Difficilement. Les commandes deviennent plus grosses, et la visibilité des titres diminue. On doit faire une rotation beaucoup plus vite. Une BD va rester dans nos rayons nouveautés 4 à 6 semaines max. Ce n’est pas longtemps.
 
E.L. : Y a t’il des éditeurs dont vous n’arrivez pas à avoir les ouvrages ?
Patrick : Les plus petits et indépendants. Tout est question d’argent pour les distributeurs.
imaginaire-djief06.jpg
Djief en dédicace à L'Imaginaire
 
E.L. : Vous avez une section de vente par correspondance sur votre site internet. Est-ce que vos clients utilisent beaucoup ce moyen ?
Patrick : Pour la bd, le site internet sert plus à titre informatif. Les clients vont voir les nouveaux arrivages, ce que l’on tient en main, les sorties à venir, les activités… Par contre, on vend des tirages de têtes ou des éditions plus spéciales qu’on ne retrouve pas nécessairement partout. De plus, l’internet permet de rejoindre une clientèle étrangère : que ce soient des Québécois qui demeurent ailleurs et qui commande leur bd ici ou des Européens qui recherchent des produits qu’ils ne retrouvent plus chez eux, internet favorise tout ça !
 
E.L. : Vous faites de temps en temps des séances de dédicaces, est-ce que c’est difficile à organiser, et est-ce que ça vous amène des clients supplémentaires ?
Patrick : Au contraire, c’est très agréable à organiser. C’est une belle vitrine pour la boutique. On aimerait bien pouvoir faire venir plus d’auteurs européens, mais il faudrait l’apport des Éditeurs et des distributeurs et que Montréal et Québec travaillent ensemble au lieu de tirer chacun de leur bord. Tout le monde serait gagnant !
 
E.L. : Mixer des séances de dédicaces d’auteurs Européens et Québécois, comme avec Christophe Blain, à la galerie Rouje, puisse permettre par ricochet de faire connaître les auteurs Québécois ?
Patrick : Tout à fait. De plus, c’est tripant pour eux de dire qu’ils ont dédicacés aux côtés d’auteurs que souvent ils apprécient.
imaginaire-jacques-lamontagne-06.jpg
Jacques Lamontagne en dédicace à L'Imaginaire
 
E.L. : Quels sont les conseils ou les questions que vos clients vous posent le plus souvent ?
Patrick : Souvent les nouvelles sorties de leurs BD préférées. Je crois que la plupart des gens qui entrent dans la boutique pour la première fois sont plus étonnés par la quantité de BD qui existent et qu’il y a autre chose que Tintin et Astérix !
 
E.L. : Quels sont vos « coups de cœurs » ?
Patrick : Mes séries coups de cœurs sont :
De Cape et de Crocs
Donjon
Blacksad
Lincoln
Le scorpion
Peter Pan
Isaac le pirate
Le chant des stryges
Lanfeust de Troy
Lapinot
Professeur Bell
L’enfant de l’orage
Saga-Nah
 
E.L. : Y-a t’il une question que je n’ai pas abordé et dont vous aimeriez parler ?
Patrick : Non, ça va. Merci beaucoup !
 
Patrick, merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous éclairer sur le marché de la bande dessinée au Québec. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site de la boutique l’Imaginaire : http://www.imaginaire.com/indexv2.jsp

Les images de cette entrevue sont propriété exclusive de L'Imaginaire. 

imaginaire1-com.jpg

Publié dans Entrevues

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article