Les entrevues Bedeka: Jean-François Bergeron (Djief), Auteur

Publié le par Eric Lamiot

Entrevue publiée le 17-05-2006

 

 

 

 

 

 

Entrevue avec Djief (Jean-François Bergeron), dessinateur de Bande Dessinée, co-auteur de « La Voyante » avec André-Philippe Coté, et de Tokyo Ghost, bientôt chez tous les bon libraires.

 

 

Pourrais tu nous décrire un peu ton projet actuel ?

Tokyo Ghost est un thriller aux touches fantastiques qui se déroule aujourd’hui dans la capitale nipponne. Nous y suivons deux jeunes adultes qui se retrouveront mêlés à un drame surnaturel suite à la mort d’un être aimé. C’est un récit bien balancé entre l’action et l’intimisme. C’est aussi pour moi un vrai défi graphique à cause de la culture japonaise moderne que je dois illustrer sans tomber dans la caricature folklorique. Mais malgré ce souci, restons sérieux; ce récit doit sans aucun doute comporter plusieurs aberrations graphiques aux yeux des tokyoïtes. C’est malheureusement le lot de travailler sur une culture qui nous est étrangère.

 

Pourquoi le japon, et avez vous eu l’aide d’une personne japonaise pour vous permettre de coller plus à la réalité?

Concernant le choix du japon et plus particulièrement de Tokyo, je sais qu’il voulait depuis longtemps mettre en scène  une histoire dans cette ville qui le fascine.
Maintenant, pour s’assurer que l’on ne racontait pas n’importe quoi graphiquement, Olivia Papini de chez Soleil qui avait une expérience concrète du japon et qui pouvait avoir accès à des personnes ressources sur le sujet a suivi (et suit toujours) le dossier. Ce qui nous a permis d’apporter quelques modifications aux attitudes des personnages et aux coutumes illustrées.


Comment s'est fait le contact pour ce projet ?

Nicolas Jarry, le scénariste, avait remarqué mon travail lorsque j’étais au sein du groupe Grafiksismik. Il nous avait abordé en nous proposant un projet de cape et épée fantastique qui était déjà signé chez Delcourt mais dont le dessinateur traînait dans la livraison des planches. L’écriture de Nicolas m’avait beaucoup plu, mais le dossier m’a échappé des mains puisque l’éditeur a finalement décidé d’attendre le dessinateur déjà engagé. Nicolas m’a alors proposé Tokyo Ghost. J’ai réalisé des planches tests et le dossier a trouvé preneur chez Soleil.  

Comment ça se passe concrètement entre les participants ?

Sans anicroche! Le scénario de Nicolas est totalement écrit avant même que je dessine la première planche. Je découpe l’album en deux portions de 23 pages que je présente au fur et à mesure à Laurent Duvault, le directeur de collection et à Nicolas. Après approbation du découpage, je m’attaque aux planches en noir et blanc qui sont aussi approuvées par Laurent et Nicolas pour ensuite passer à la colo aux bons soins de Joëlle et sans oublier Giral aux aplats! Toute la communication avec Nicolas Jarry et Laurent Duvault se fait par e-mail ou MSN. Si tout va bien, j’espère les rencontrer en personne l’année prochaine lors d’un certain festival en France…

 

Ce festival semble être un « Graal » pour certains, qu’est-ce que tu en espères?

Si l’on parle d’Angoulème, je crois que c’est une expérience à vivre une fois dans sa vie d’auteur pour la simple frénésie et saisir l’ampleur de l’industrie. Autrement, je ne m’attend pas à grand-chose d’autre, outre à l’épuisement que peux procurer l’événement. Ce qui m’intéresse surtout, c’est d’enfin rencontrer mes collaborateurs français, mais malheureusement je ne crois pas qu’un festival soit ultimement le contexte idéal. Au moins ce sera un bon prétexte pour retourner en Europe! ;-)

Qu'est-ce qui t'a donné le goût de faire de la BD ?

C’est un moyen d’expression que j’ai vite maîtrisé jeune et dont je sentais qu’il remplissait tout mes besoins créatifs avec des moyens à ma porté: un crayon, une gomme à effacer et une feuille de papier… la simplicité même! Mais bien entendu, mes premières lectures de BD franco-belge ont été à l’origine de cette étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Peux tu nous décrire un peu ton parcours ?

Oui, il n’a rien d’épique cependant. Le désir d’être créateur de bande dessinée m’habite depuis que je suis en âge de lire et d’écrire. Mais comme il ne se donnait pas de formation comme tel au Québec, j’ai opté pour le graphisme au CÉGEP qui ne m’a définitivement pas convaincu puisque je ne l’ai pas terminé… En sortant des études collégiales, j’ai donné quelques ateliers BD à Québec et en 1990, j’ai été Grand gagnant du 6ième concours international de bande dessinée organisé par la C.A.I.J. Charleroi (Belgique). C’était  une belle reconnaissance à cette époque même si elle ne m’a pas ouvert toutes les portes que j’aurais pu espéré. J’ai donc décidé de me trouver un emploi rémunérateur et j’ai été embauché par une boîte de productions vidéo où j’y ai travaillé comme animateur 3D. C’était en 1991, alors la complexité des logiciels était assez basse pour que j’apprenne le métier « sur le tas ». Parallèlement, j’ai publié à cette époque une compilation de courtes histoires scénarisées par d’A.-P. Côté : La voyante. Encore une fois, comme il fallait bien vivre, j’ai fondé avec mes frères une compagnie de multimédia et de 3D (SVC – en 1995). J’y ai travaillé jusqu’à la fin 99 pour faire le bond en 2000 du côté des jeux vidéo comme designer jusqu’en 2004. C’est pendant cette période que je me suis complètement détourné de la bande dessinée. Ça été à cette époque, un raz le bol total dû aux perspectives professionnelles insignifiantes pour un québécois en bande dessinée. Mais avec l’arrivée de nouveaux auteurs, la percée des gars comme Labrosse, Voro et Mivilles-Deschênes que j’ai cru à un retour possible de mon rêve d’enfance. Donc, en tentant des approches chez Spirou en 2002, Thierry Tinlot le rédac en chef de l’époque m’a donné ma chance. J’ai illustré sporadiquement de courts récits pour ce magazine pendant 2 ans ce qui a renforcé mon assurance d’être prêt pour le grand saut. En 2004, je joignais l’équipe de Grafiksismik pour laisser derrière moi mon travail de designer de jeux et m’attaquer à temps plein à celui de dessinateur. Depuis 2006, je vole de mes propres ailes comme auteur de bande dessinées.

 

Tu parles de perspectives insignifiantes, peut-on vivre correctement de la BD aujourd’hui?

Oui, je le crois, mais il faut viser le marché international. Donc soit le marché anglophone Nord Américain ou le marché francophone Européen. Les maisons d’éditions BD québécoises d’aujourd’hui font de gros efforts pour se faire distribuer en Europe par exemple. Mais jusqu’aux années 2000, les perspectives étaient en effet trop locales, donc peu encourageantes.


Comment tu t'organises dans ton travail ?

J’ai vite compris qu’il faut beaucoup de discipline pour se monter une carrière dans la BD. Comme c’est un travail solitaire, généralement exécuté chez soi, avec des horaires non imposés, il est facile de remettre à demain ce qui doit être fait aujourd’hui. Et en plus de la discipline, on doit avoir le souffle du marathonien : dessiner tout les jours et produire nos planches malgré nos humeurs on nos vagues à l’âme. Enfin, dans l’état des choses en ce qui me concerne, rater une livraison ou prendre un temps fou pour parfaire mon travail est un luxe que je ne peux me permettre. Mais nous en reparlerons quand j’aurai quelques albums sous le bras…

Quelles sont tes influences ?
Plus jeune, Hermann et Rosinski m’ont beaucoup influencés dans leur mise en scène et leur découpage cinématographique. Aujourd’hui, j’aime particulièrement le travail de Boucq, Gibrat et Marini pour ne citer que ceux-là. Mais je dois avouer que je suis un inconditionnel de Christophe Blain, Dupuy-Berberian et Guibert. J’ai aussi découvert récemment GIPI qui m’a vraiment touché avec son « Notes pour une histoire de guerre » 


C'est quoi pour toi « une bonne BD ? » ?
C’est avant tout un bon moment à passer en compagnie d’une bonne histoire bien raconté. S’il ne se dégage pas un plaisir dans ma lecture, je referme le livre très rapidement. Mais il faut comprendre qu’une « bonne BD » prend son sens par rapport à l’âge et l’expérience de vie que l’on a. Je ne lis pas les mêmes choses qu’à 10 ou 20 ans. Je crois qu’il existe de la bonne bande dessinée pour tous les groupes d’âges. Ce qui est important c’est d’y retrouver ce qui nous parle et le 9e art a cette richesse de la variété.  

 

Qu'est ce que tu penses de la vague BD actuelle (et de la production
soutenue) et particulièrement du décollage de la « BD québécoise » ?
Je crois que l’on assiste à une belle période pour la BD. Beaucoup de gens sont inquiet face au nombre vertigineux de titres chaque année. Une épuration va certainement faire disparaître bon nombre d’auteurs moins talentueux dans les prochaines années, mais dans l’ensemble le marché fait preuve d’une grande vitalité et offre à des auteurs québécois des opportunités inouïs.

 

Si tu devais qualifier ton travail, qu'est-ce que tu en dirais ?
Mmmm… Difficile à répondre celle-là. Je préfère laisser les autres analyser mon travail. Sinon, dessineux-de-bonhommes-qui-se-veut-réalistes, ça te va? ;-)

 

Quels sont tes projets d'avenir ?

À court terme après Tokyo Ghost, ce sera une nouvelle série, toujours pour Soleil. Mais je ne peux pas encore en parler… À long terme, un autre projet d’envergure avec un certain ami scénariste, mais là aussi ça doit rester dans le secret des dieux. Désolé de ne pas être plus loquace sur le sujet.

 

Qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui voudrais se lancer dans la BD?

De ce trouver un vrai job? Meuuuh non, je blague bien sûr! Mais en même temps, il faut être drôlement passionné pour s’y acharner et percer. Et une fois dans le milieu, c’est toujours pas gagné! Je n’en suis qu’à mes premières années de pratique et je dois rester vigilant pour faire de mon mieux si je veux avoir une longue carrière. Je crois beaucoup dans la théorie de l’évolution de Darwin qui déclarait que seule les espèces capables de s’adapter survivront! Alors, il faut continuellement s’ajuster sinon on risque de souffrir du syndrome de l’artiste incompris. Mais je m’éloigne. Mes recommandations pour un jeune auteur en devenir se résume ainsi : persévérance, passion et travail acharné. C’est cliché je sais, mais utile de se le rappeler!

 

Merci beaucoup à Djief (Jean-François Bergeron) de nous avoir accordé de son précieux temps pour cette entrevue.

Publié dans Entrevues Bedeka

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