Les entrevues Bedeka: Jimmy Beaulieu, Éditeur et Auteur

Publié le par Eric Lamiot

Entrevue publiée le 23-05-2006

 

 

 

 

 

L

es Editions Mécanique Générales fêtent cette année leur cinquième anniversaire. Bedeka.org à demandé à Jimmy Beaulieu, Directeur de collection et auteur, de partager avec nous son expérience et ses opinions de la bande dessinée en général, et québécoise en particulier.

Pourriez vous nous rappeler la genèse des éditions Mécanique Générale ?

 

Le logo mécanique générale est apparu pour la première fois sur la seconde édition de "Quelques pelures", en septembre 2000, si je me souviens bien. Je ne voulais pas créer ma propre maison d'édition, mais La pastèque n'en voulait pas tel quel, j'étais trop impatient pour l'envoyer en France, et je n'avais aucune envie d'y changer quoi que ce soit. J'ai donc mis ce logo sur le livre alors qu'il était déjà à l'imprimerie, et que le lancement arrivait à grands pas. Je ne pensais pas, alors, donner suite à ce projet éditorial. Puis, en janvier 2001, Leif Tande et Sébastien Trahan me tannaient les oreilles avec le festival d'Angoulême. ils voulaient que j'y aille avec eux, à nos frais (c'est le seul voyage que je me suis payé à vie). J'ai fini par dire : "D'accord, mais on fait un nouveau livre pour pouvoir montrer ce qu'on fait aux français." On a demandé à PhlppGrrd, alors inséparable comparse de Leif dans l'aventure "Tabasko", et à mes deux mentors : Benoît Joly et Luc Giard, de participer au projet. Deux semaines plus tard, "Avons-nous les bons pneus ?" existait. Il est amusant de souligner que c'est à cette date, le 22 janvier 2001, que ma copine et moi avons débuté notre relation. Quand on a vu le résultat de "Avons-nous les bons pneus ?", fait instinctivement, on a trouvé qu'on avait des styles complémentaires, qui créaient une cohérence. Alors on a eu envie de continuer à travailler ensemble.



 

Les éditions mécanique générale sont devenues un incontournable dans la production Québécoise. A quoi attribuez vous ce fait ?

 

Je suis heureux de l'entendre. Peut-être par la régularité et la qualité de nos publications. Par notre cohérence de ton. Par les sujets qu'on aborde. Qui sait. Peut-être parce que c'est pas de la marde, ce qu'on fait, finalement.

 

 

J’ai entendu des commentaires vous comparant à ce que fait « l’association » en France. Q’est-ce que vous en pensez ?

Houlà ! J’aime beaucoup ce qu’ils font, mais notre projet est assez différent. Nous ne sommes pas trash aux mêmes endroits, et pas littéraires aux mêmes endroits non plus. On n’a pas les mêmes pudeurs. Je ne voudrais pas qu’on fasse banalement partie des hordes de copieurs de l’asso. Nos anciennes couvertures et la régularité de nos formats favorisaient ce rapprochement, et le fait que nous sommes 6 fondateurs aussi… Mais on souhaiterait se démarquer le plus franchement possible dans l’avenir. Ne serait-ce que pour ne pas avoir l’air de suiveux. Et malgré qu’ils soient une marche d’une importante capitale dans l’évolution des choses, je refuse d’admettre qu’ils aient tout inventé.

 

 

Vous fêtez cette années vos 5 ans d'existence. Que retenez vous de ces 5 ans ?

 

Qu'il n'est pas nécessairement sot d'être optimiste à propos de la bande dessinée d'auteur au Québec. Et j'entends bien continuer à faire partie de ceux et celles qui en font la preuve.

 

 

Qu’est-ce que vous entendez par « bande dessinée d’auteur » et pensez vous vraiment qu’elle soit si différente ?


Bof. Je ne sais pas si ça signifie quelque chose, à part que c’est une bande dessinée qui n’est pas faite pour un public, ou encore pire, pour un marché. Et qu’il y a absence de « genre ». Mais il ne faut pas qu’on pense que je dis BD d’auteur = bons/ BD de genre = méchants. Je pense qu’au Québec on a davantage développé la bande dessinée « d’auteur » parce que les auteurs québécois qui peuvent bien faire le genre le font en publiant ailleurs. Et il y a si peu de perspectives mercantiles pour la bande dessinée, ici, que ça ne donne pas grand chose de faire la pute. Alors on se concentre les projets qu’on a le plus à cœur. Les projets qu’on a pas le choix de faire avant de mourir (ce qui peut aussi bien être un projet de science fiction, mais c’est plus rare, manifestement).

 

 

Qu'est-ce qui régie votre politique éditoriale ?

 

Mes envies obsessionnelles de faire exister des bons livres, empreints d'urgence, d'inventivité et de fraîcheur. Dans certains cas, je pense que personne d'autre n'aurait pu bien les faire, pour des raisons de chevauchement des rôles d'éditeur/auteur/traducteur. Je pense aux livres de Luc Giard, notamment. Et pour les collectifs, j'ai également fait de la traduction et du lettrage.



 

Vous êtes allé à Angoulême cette année. Que vous a apporté cette expérience ?

 

C'était la sixième fois que j'y allais, en plus d'avoir habité là-bas pendant 8 mois en 2004. mais c'était la première fois que j'étais invité par le festival, cette année. Il n'y a que 3% de ce festival qui m'intéresse, mais ce 3% vaut LARGEMENT la peine de se déplacer. C'est vraiment stimulant de voir des gens de partout dans le monde qui ont des projets similaires au nôtre. Des Finlandais, des Autrichiens, des Marocains, des Coréens... et c'est tout simplement très chouette de retrouver les amis qu'on s'est fait lors des autres festivals. Sur le plan plus pro, je pense que ce festival est un incontournable. Et y aller une seule fois ne donne pas nécessairement grand chose. Il faut y retourner. Durer.

 

 

Quel a été l’accueil du public en général face a vos productions ?

 

Très chaleureux. Je pensais avoir à me battre avec beaucoup plus d’hardiesse pour faire passer notre projet. Pis là… quess’tu veux… Ça a l’air que ça pogne.

 

 

En terme de retombées, est-ce qu’il y en a eu (ou en aura) pour Mécanique Générale ?


Tu parles de quel genre de retombées ? Économiques ? Oui, je pense que c’est envisageable. Ça dépend de l’échelle. Si on pense qu’on va s’acheter des bateaux avec nos droits d’auteurs, on a encore du chemin à faire. Des retombées de « stardom » ? J’y compte bien. Mes lunettes fumées sont achetées, toutt’…

 

 

Qu'est-ce qui vous motive dans la bande dessinée actuelle ?

 

Tout ce qui n'a pas encore été fait, et qu'il reste à faire.

 

 

Pensez vous que ça soit vaste ?

Oui. Bien sûr. En 100 ans, la bande dessinée a pas mal tourné autour des mêmes approches. Je ne parle pas de Georges Herrimann, Crumb, Fred, Benoît Joly ou Forest, mais la très grande majorité s’est contenté de ressasser ce qui avait déjà été fait. En poussant un peu plus loin, des fois, certains aspects, timidement… Depuis 15 ans, de plus en plus de portes s’ouvrent. C’est devenu plus valorisé de ne pas faire comme les autres. Et j’espère que notre génération va défricher un maximum de terrain de son vivant.

 

 

Vous publiez autant des collectifs que des albums d'auteurs, comment choisissez vous les thèmes des albums collectifs ?

 

Les thèmes des collectifs nous tombent toujours dessus par hasard. J'aimerais refaire un projet comme "Le pitcheur", un jour, des feux croisés sur un sujet précis sur lequel travaillerait l'équipe originale de l'écurie mécanique générale. Je sais pas, c'est drôle, les collectifs. C'est à la fois hyper-intéressant et hyper-vain.

 

 

Pourquoi « vain », c’est un exercice intéressant pour le lecteur en tous cas ?

Hmmm… le libraire d’expérience que je suis a entendu pas mal de tirades contre les collectifs. Ça m’a découragé, à la longue. Peut-être y a-t-il des lecteurs plus ouverts à ce genre d’initiative aujourd’hui qu’il y a cinq ans. En tout cas, je suis étonné de la réception de « Plan cartésien ». Fort agréablement surpris.

 

 

En parlant de collectif, vous avez participé à un collectif sur le train sorti par les Éditions Ouest-France. Comment est venu ce projet ?

 

L’auteur français Étienne Davodeau m’a écrit pour m’inviter à participer. Au début, j’hésitais parce que le train n’est pas trop dans nos mœurs québécoises, et j’avais peur de la couleur. Mais ma première réticence est devenue mon sujet, et ma seconde m’a ouvert des portes sur une facette que je n’avais pas encore assez explorée, et que je suis impatient de pousser plus loin (je parle de la couleur). De plus, j’aime le travail d’Étienne Davodeau, et je suis honoré d’être publié auprès d’auteurs comme Bibeur Lu et Daphné Collignon (que nous avons aussi publié, dans « Terriens »). Et puis bon c’était payé. J’ai pas l’habitude !

 

 

Est-ce que ce projet pourrait être un prélude à des collaborations de Mécanique Générale avec des auteurs ou éditeurs français ?

 

Il y a déjà des auteurs français plein « Terriens ». Nous avons co-édité « La cage » avec la maison d’édition de Benoît Peeters : « Les impressions nouvelles ». Nous avons publié un livre d’Edmond Baudoin : « Véro », et « Plan cartésien » contient quelques Français plus ou moins Québécois. À l’inverse, PhlppGrrd, Leif Tande et moi avons publié en France par le passé. Publier en France n’est pas vraiment un de mes buts (à part pour « Projet domiciliaire »), mais il va bien falloir le faire un jour, ne serait-ce que pour attirer l’attention des François sur nos ouvrages (la plupart de ceux-ci sont distribués là-bas).

 

 

Que pensez vous de la bande dessinée Québécoise ?

 

Qu'elle vit peut-être une de ses plus belles périodes. Tout semble ouvert, pour l'instant. Remarquez, c'est vrai que mes attentes sont modestes, et que le succès qui me réjouit tant serait perçu comme un cuisant échec par les Michel Brûlé de ce monde, mais je pense qu'on est sur une sucrée de bonne lancée. Les auteurs établis évoluent très rapidement, et il y a des nouveaux auteurs superpuissants qui poppent de partout, et ils savent écrire, les ti-torrieux ! C'est super ! En plus, l'internet fait qu'on communique ensemble plus que jamais. (j'utilise le masculin pour alléger, mais ça inclut les filles, bien entendu).

 

 

Quels sont vos plus récents « coups de cœurs » ?

 

Hmmm... ces temps-ci, je lis du super-héros... mais j'ai dernièrement beaucoup aimé "Mon bel amour" de Frédéric Poincelet. J'adore ce que fait Anders Nilsen, mais la surabondance ridicule des petits oiseaux dans le design tendance me tape sur les nerfs. Ça pollue un peu son travail à mes yeux, mais c'est vraiment pas de sa faute. Sinon, "Safari Monseigneur", "L'aventure des opposants", le "Spirou et Fantasio" de Yoann et Vehlman, "Le photographe", "Every girl is the end of the world for me", "Fraise et chocolat" et les "Aubergines" de Kuroda.... J'suis pas mal en retard dans mes lectures. J'ai eu un gros trip Tezuka, récemment. J'ai hâte de lire le nouveau Sébastien Lumineau, le nouveau "Ariol" et le Kerascoët qui s'en vient.



 

Que nous réservent les prochains mois pour Mécanique Générale ?

 

Les meilleurs livres du monde, par Leif Tande, Iris, Pascal Girard, Catherine Genest, David Turgeon, Petr, Robert Marcel Lepage, Sébastien Trahan, Benoît Joly, Éléonore Goldberg, Jules Feiffer, etc. Et la suite de "Ma voisine en maillot" : "Super-pouvoirs". J'avais dit qu'on sortirait un livre par mois, cette année, ben je vais me parjurer un peu parce que ça serait pas un service à rendre à un auteur que de sortir son livre en août, alors que tout le monde s'en fout. Nous allons donc mieux concentrer nos efforts selon les saisons. Mais pour nous faire pardonner, nous allons peut-être faire plus que le 12 livres annoncés en début d'année.

 

Merci beaucoup pour cette entrevue, nous souhaitons encore beaucoup d’autres anniversaires à Mécanique Générale.

Publié dans Entrevues Bedeka

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