Les entrevues Bedeka: Yves Rodier, Auteur

Publié le par Eric Lamiot

Entrevue publié le 05-09-2006

 

 

 

Yves Rodier est le dessinateur de « Simon Nian », scénarisé par François Corteggiani. Le tome 2 est sorti cette année en France et au Québec, et le 3 s’avance à grands pas. Bedeka.org a donc contacté Yves Rodier pour lui demander de nous en parler.

 

 

Pourrais-tu nous expliquer la genèse de Simon Nian ?

Un de nos amis, à François Corteggiani et moi, se nomme Georges Simonian. C'est un avocat, membre du Barreau de Paris, et grand amateur de BD. Si on disait que je suis en train de décrire le personnage fictif de Simon Nian, c'est que nous l'avons calqué de très près sur notre ami! Un jour, Georges nous a rendu un service professionnel gratuitement, et pour le remercier, sachant qu'il adore Tillieux et Gil Jourdan, nous lui avons fait cadeau de l'original d'une fausse couverture "À la Gil Jourdan". Nous avions intitulé l'album "La victime avait de gros nichons" et c'était "Une Enquête de Simon Nian"! Nous avons bien rigolé avec ça, et quand Glénat nous a demandé de leur présenter un projet, après l'avortement d'un autre qui avait été accepté puis rejeté, nous avons immédiatement pensé à Simon Nian. Ce fut accepté sur le champ, et... nous en sommes maintenant au troisième album!

 

 

Il me semble avoir aperçu ici ou là des clins d’œil à d’autres bandes dessinées, je me trompe ?

Mais oui! C'est normal, puisque notre héros est lui même un maniaque de BD! Et il n'y a pas que lui! Korté et moi-même le sommes également. Sommes toute, cette série est un grand hommage à Tillieux mais aussi aux auteurs de toute une époque de la BD maintenant révolue... mais qui reste chère dans les coeurs de nombreux amateurs!

 

 

Certaines scènes sont présentées de façon très cinématographiques. As tu de fortes influences dans ce domaine ?

 

Oui, j'adore le cinéma, et j'en ai étudié la mise-en-scène au Cégep de St-Hyacinthe pendant trois ans. Mais ça vient aussi du découpage que me fournit François. Bien entendu, il me laisse libre d'y apporter des changements, ce que je fais de temps en temps, mais il faut bien avouer qu'avec ses 35 ans d'expérience, il sait ce qu'il fait, le père François!!! Dans le troisième, il y a une scène de poursuite de voitures sur les quais de la Seine, et c'est superbement découpé! Je n'ose pas y toucher car François en a si bien huilé tous les rouages que j'aurais peur de détraquer la machine!

 

 

Comment se passe la collaboration avec ton scénariste, qui est basé en Europe ?

 

Pour le premier, nous avions mis en place les bases de l'histoire alors que j'étais chez lui, puis je suis revenu au Québec. Depuis, François m'envoie son scénario/découpage par e-mail, je fais les crayonnés, je les scanne et les lui envoie pour approbation. Au début, il y avait beaucoup de corrections car nous n'étions pas encore habitués à travailler ensemble, mais maintenant que nous sommes un vieux couple et que nous savons mieux à quoi nous attendre l'un de l'autre, ça roule bien. Il faut dire aussi que je suis retourné chez lui terminer la deuxième moitié du premier album, et j'ai commencé le 2e tome, toujours chez lui, ce qui nous a permis de travailler en proche collaboration.

 

 

Tu nous a mis l’eau à la bouche en glissant quelques mots du troisième. Pourrais tu nous en dire plus ?

 

Avec joie! Dans cette nouvelle aventure, nous faisons un retour de plein pied dans le monde de la BD avec ses séances de dédicaces, ses collectionneurs d'originaux, et ses meurtres sanglants... heu, enfin, dans notre histoire! Il s'agit d'une course-poursuite, à la recherche de planches originales mythiques... Je ne veux pas en dire plus pour laisser aux lecteurs le plaisir de le découvrir à la sortie de l'album!

 

 

Tu es un tintinophile averti. Tu as même « commis » une fin à Tintin et L’alph-art. C’est peut être encore un sujet sensible (la réaction de la fondation Hergé n’a pas été très favorable, si je me souviens bien), mais j’aimerais savoir ce que t’a apporté cet exercice ?

 

Non, curieusement, la réaction de la Fondation avait été très favorable! Je pense qu'ils ont vu que mon travail était un hommage sincère et non une entreprise à faire des sous sur le dos de Hergé. Bien entendu, de là à me laisser le publier, il y a un pas qu'ils ne peuvent pas franchir, et je les comprends. Mais pour revenir à la question, cet exercice a apporté beaucoup de rigueur et de précision à mon dessin. Aussi, un point qui est devenu essentiel pour moi: la lisibilité. La BD d'aujourd'hui avec ses cadrages éclatés, ses effets d'ombre et de lumière à outrance et ses détails superflus dans les dessins, a complètement oublié cet aspect! Je pense que l'école franco-belge était un modèle d'efficacité à ce niveau, et qu'il n'est pas près d'être égalé par ce qu'on appelle "la BD moderne"... Ça demande un travail d'épuration très concis que les artistes d'aujourd'hui, qui pensent que "plus"veut dire "mieux", ne sont pas prêts à faire. Bien entendu, je ne parle pas ici de la BD d'auteur qui est très souvent minimaliste, mais de la BD de genre, que ce soit policier, aventure ou SF.

 

 

En parlant de « BD moderne », qu’est ce que tu penses de la production énorme que l’on vit actuellement ?

 

Je ne sais pas trop... Ça a du bon et du mauvais. D'un côté ça permet à plus d'auteurs de vivre de leur art, mais de l'autre, leur travail doit vraiment se démarquer de la masse pour avoir une chance de leur apporter un revenu stable et durable... En revanche, le public en ressort gagnant. Il n'a jamais eu un éventail aussi large dans lequel choisir!

 

 

Quelles sont tes sources d’inspiration en général ?

 

Bien entendu, toute l'école de Marcinelle, l'école franco-belge en général, mais aussi toute oeuvre finement mise au point. J'y vois un défi à m'approcher de ce haut degré de précision. Le dessin d'Uderzo est incroyable, en particulier sur "Tanguy et Laverdure"... Son sens de la lumière est hallucinant! Quand je regarde des images comme ça, je me dis que j'ai encore bien du chemin à faire avant d'arriver à créer des ambiances semblables! Mais ça m'inspire à travailler encore plus fort.

 

 

Tu es un des auteurs québécois édité en Europe, qu’est ce que tu penses de la production québécoise actuelle, autant en Europe qu’ici ?

 

Je trouve ça très excitant! Et ce qui est vraiment bien, c'est que même la BD qui n'est pas distribuée en Europe commence à avoir des fans là-bas! On les y apprécie pour le dessin mais aussi pour le reflet de notre société qu'elles évoquent. Cette saveur typiquement québécoise fait très exotique pour nos cousins de la francophonie européenne...

 

 

Pourrais tu nous présenter ta façon de travailler ?

 

Ça dépend de mon inspiration. À vrai dire, je ne pense pas avoir à proprement parler de technique. Ce que je redoute par dessus tout, c'est l'ennui qui découle de la routine. C'est pourquoi aussi que, tout en sachant les grandes lignes des histoires sur lesquelles je travaille, je demande à Corteggiani de ne m'envoyer que 4 ou 5 pages à la fois, pour maintenir mon intérêt. Aspect dessin, avant je travaillais en encrant au fur et à mesure mes crayonnés, puis j'ai espacé pour faire 5 planches de crayonnés avant de les encrer. Cette fois-ci, j'essaie de faire toutes les planches en crayonnés avant de les encrer, mais j'avoue que la tentation a été trop grande et que j'ai encré certaines cases que je sentais au point. Mais il est certain qu'il est bon de s'accorder un moment de réflexion entre le crayonné et l'encrage. J'apprécie cependant beaucoup plus l'étape de l'encrage que celle du crayonné. C'est à ce moment que, pour moi, le dessin se met à exister. Je ne pousse pas tellement mes crayonnés puisque je travaille sans assistant et que je saurai exactement ce qu'il y aura à préciser au moment de l'encrage.

 

 

Pour la couleur, vous faites appel a un studio, comment ça se passe au niveau pratique ?

 

C'est assez particulier, il faut bien le dire! Avec le dessinateur au Québec, le coloriste en Belgique et l'éditeur en France, mes dessins font beaucoup de chemin avant de se retrouver en album! Pour le premier, j'ai fait les couleur moi-même avec l'assistance d'une amie, Gaëlle Robert, qui n'a pas été créditée dans l'album. À cette fin, j'avais fait une charte de couleur en me basant sur celle de Vittorio Leonardo, le coloriste attitré de l'école de Marcinelle depuis les années 60. Quand j'ai eu la chance de le rencontrer à la sortie du premier album, je lui ai demandé, sans me faire d'illusions, s'il voulait faire les couleurs de la suite... et à mon grand étonnement, il a dit oui! La façon dont nous procédons est toute simple: Je scanne moi-même mes planches et les lui envoie par courriel à son studio de Belgique. Vittorio m'envoie le résultat en fichers à basse résolution pour que je lui indique mes éventuelles corrections. Une fois les corrections faites, il met les planches coloriées sur CD et les fait parvenir à l'éditeur en France. C'est un réel honneur pour moi de collaborer avec lui sur ce projet, et les résultats du dernier album ont dépassé toutes mes espérances!

 

 

Est-ce qu’on verra un deuxième tome des aventures de Pignouf et Hamlet ?

 

Haaaa, Pignouf et Hamlet! Ma foi, j'aimerais bien! Encore faudrait-il en trouver le temps! Mais un truc qui me trotte dans la tête depuis un petit moment, ce serait d'en faire des livres illustrés! Il faudrait que j'en parle avec l'auteur des textes, David, mais c'est un projet qui me plairait bien! J'ai toujours adoré faire de l'illustration, même si je n'en ai pas souvent eu l'occasion, et je pense que ces personnages et leur style d'aventures s'y prêteraient parfaitement!

 

 

Quels sont tes projets ?

 

Hé bien, le 4e tome des aventures de Simon Nian bien entendu, qui devrait se situer, celui-là, en Amérique du Sud! Il y a aussi une statuette en résine du personnage qui sera disponible en 2007 et dont je superviserai la conception. Il y a encore un autre projet de série à venir, pour l'instant chez Glénat, dont nous attendons la confirmation, et je réalise aussi une série pour la revue Safarir, en collaboration avec mon ami Menzo, qui est en fait un roman-photo mettant en vedette des jouets! Ça s'appelle "Bébel-O-Rama" (pour nos lecteurs européens, "bébelle", un terme signifiant "jouet" en québécois) et je m'amuse comme un petit fou à travailler là-dessus! Le premier épisode est paru dans le numéro de juillet 2006.

 

 

Pourrais tu nous parler de tes derniers « coups de cœur », tous domaine confondus ?

 

Au cinéma, OSS 117 qui est génial! Aussi le film "Nacho Libre" du réalisateur de "Napoleon Dynamite", Jared Hess mettant en vedette Jack Black. En BD, je viens tout juste de découvrir "Le Petit Christian" de Blutch et j'attends la suite avec impatience (on l'a annoncé à ce qui paraît). "Magasin Général" de Loisel et Tripp est absolument superbe! Il y a "Jojo" de Geerts qui est toujours un pur ravissement. Dans le même registre, "Mamette" de Nob, et enfin "Les Nombrils" de nos compatriotes Delaf et Dubuc, des amis de longue date! Nous avions collaboré à Pignouf ensemble il y a plus de 10 ans! Un grand succès bien mérité!!!

 

 

Merci Yves de nous avoir accordé cette entrevue. Nous attendons avec impatience la sortie du tome 3 de Simon Nian, et pour en savoir plus, http://www.geocities.com/yves_rodier/

 

 

Publié dans Entrevues Bedeka

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article